La décision Morgentaler du 28 janvier 1988

Par Michelle Reid Siobhan

La longue campagne de lutte du Dr Morgentaler pour renverser l’article 251 du Code criminel du Canada a finalement réussi en 1988, lorsque la Cour suprême a invalidé la loi dans son arrêt R. c. Morgentaler, dans la décision 5-2.

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La loi de 1969 criminalisait l’avortement au Canada, sauf si un Comité des Avortements Thérapeutiques (CAT)  constitué de trois médecins jugeaient que la vie d’une femme ou que sa santé était menacée par sa grossesse. Les CAT n’ont alors guère contribué à améliorer la situation et peu d’avortements ont été approuvés et le Dr Morgentaler a défié la loi en fournissant des avortements en fonction de la décision de ses patientes enceintes, et non de médecins qui déterminaient ce qui était le mieux pour la santé et la vie des femmes.

Lui et deux autres médecins ont été inculpés en 1983 pour avoir pratiquer des avortements clandestins dans une clinique de Toronto. Ils ont fait valoir que l’article 251 était inconstitutionnel parce qu’il violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule que «Toute personne a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être privé de ce droit si ce n’est en conformité avec le principe de justice fondamentale. » La question soumise à la Cour était de savoir si la protection d’un fœtus en développement l’emportait sur le droit à la sécurité d’une femme enceinte.

Le juge en chef, Brian Dickson, conclut que forcer une femme à poursuivre une grossesse non désirée constituait une violation de son droit à sa sécurité, et a écrit: «l’article 251 porte clairement atteinte à l’intégrité de la femme, tant sur le plan physique qu’émotionnel. » Il a également constaté que cet article violait la liberté de conscience et de religion. « Forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener le foetus à terme à moins qu’elle remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspiration est une ingérence profonde dans la vie du corps d’une femme. »

Les juges Jean Beetz et Willard Estey ont déclaré que les retards causés par les comités de l’avortement thérapeutique et le manque d’hôpitaux qui pratiquent des avortements pourraient constituer une menace pour la santé des femmes enceintes. Un autre juge, Bertha Wilson, a écrit que la loi actuelle « [affirme] que la capacité de la femme à se reproduire est de ne pas être soumise à son propre contrôle … Elle est le destinataire passif d’une décision prise par les autres comme si son corps devait être utilisé pour alimenter une nouvelle vie. »

Deux juges dissidents ont déclaré qu’il n’y avait pas de droit constitutionnel à l’avortement. Ils ont dit que les retards causés par les hôpitaux et les CAT étaient d’ordre administratif et non pour des questions juridiques, et que par conséquent ce n’était pas à la cour de décider. Cependant, l’opinion de la majorité étant en faveur de l’avortement, l’article 251 a été annulé. L’avortement est devenu tout à fait légal au Canada, y compris dans les cliniques privées.

La décision du 28 janvier 1988 fit sensation ce soir-là, faisant la Une des nouvelles de la télévision nationale et de la presse à travers le pays le lendemain matin. Les militantes pro-choix jubilaient, presque incrédules, que la loi contre laquelle eux et le Dr Morgentaler avaient combattu depuis plus de vingt ans n’existait finalement plus.

« Bravo à la Cour suprême du Canada! » criait Morgentaler devant la chambre de la Cour suprême. « Bravo pour les femmes du Canada!  La justice pour les femmes du Canada est enfin arrivé »[1] Il écrira plus tard dans ses mémoires: « Imaginer qu’à moi seul ou presque, j’ai pu faire supprimer une loi cruelle et barbare qui a causé tant de souffrances aux femmes à travers le Canada ».

Une foule de plus d’une centaine de personnes s’était rassemblée ce soir-là pour célébrer la victoire autour de la clinique Morgentaler de Toronto, et saluait la nouvelle en criant, comme Morgentaler pu le faire: « Chaque enfant est un enfant désiré par chaque femme».

Les Partisans pro-choix célébrèrent cette nouvelle, mais restèrent méfiants, attendant une inévitable réaction d’opposition de la part des représentants du gouvernement et de la santé anti-choix.

Cependant, malgré tous les efforts de députés et mouvements anti-choix, de certains gouvernements provinciaux, et de chefs religieux; l’arrêt de loi R. c. Morgentaler ne fut ni abrogé, ni modifié. La raison et la justice avaient pris parti pour le mouvement pro-choix, ce qui permis de rendre juridiquement légal  l’avortement, son financement et le rendre partie intégrante du droit canadien et de la médecine.